Anne-Marie Sargueil : «Le design met en scène la sensibilité du commerce en sublimant les émotions»

Trois questions à… Anne-Marie Sargueil, présidente de l’Institut Français du Design (IFD) Lors du MAPIC 2024, L’Institut Français du Design a décerné à l’agence Jouin Manku le prix Best Store Design by French designers pour la boutique Infiniment Chocolat de Pierre Hermé. Qu’est-ce que ce prix récompense ? Les réalisations ont été évaluées selon cinq critères que je résumerai par les « 5 E » pour économie (les investissements requis doivent contenir des perspectives de ROI et impacter favorablement le chiffre d’affaires des marques), ergonomie couvrant l’interface, l’expérience client, le gain de temps et un parcours d’achat simplifié, esthétique (l’harmonie visuelle), éthique, incluant les économies d’énergie, la recyclabilité, la RSE, le choix des matériaux et la relation avec les collaborateurs et émotion (engagement, fidélisation et satisfaction clients). Ce regard collectif nous permet de qualifier l’importance de la démarche du designer. Par ailleurs, notre jury met le prix sur les réalisations qui fonctionnent et augmentent le panier moyen des commerçants. Le rôle de l’Institut du Design Français est d’être toujours à l’affût des signaux faibles. En dépit de la crise économique, les consommateurs ont envie de continuer à rêver, à travers les marques. Le commerce a ce pouvoir de créer de l’envie, de l’empathie et d’aborder les relations humaines par la sensibilité. Il ne se résume pas à un simple échange monétaire. Le design est là pour mettre en scène cette sensibilité, en sublimant les émotions mais aussi en les concrétisant dans un parcours client efficace et bien construit. En quoi le design est-il une force pour les retailers ? La grande pertinence du design est sa capacité à passer d’un registre d’entrée de gamme à l’ultra luxe. Les lauréats du Best Store Design by French designers, tout comme ceux des Janus du Commerce que nous pilotons chaque année, ont su montrer qu’ils savaient travailler dans une intelligence collective et mettre sur un pied d’égalité l’actionnaire, le client utilisateur ainsi que de nouvelles cibles. Cette capacité du designer à prendre en compte les intérêts de toutes les parties prenantes est centrale dans leur réalisation. Le métier de designer est d’aller là où il y a une relation génératrice d’expériences et de profits financiers et non financiers, en passant par la démarche créative. Ne pas faire confiance au designer, c’est, pour les marques ou les enseignes, prendre le risque de passer à côté de la singularité et ne pas s’inscrire dans un temps long. Or, les consommateurs ont besoin de stabilité pour s’attacher à une marque. C’est justement cet attachement que recherchent les designers à travers des signatures créatives qui créent l’intelligence, le confort et l’attractivité d’un lieu de vente. Enfin, le design a vocation à fuir l’obsolescence au profit de la durabilité et de réalisations écoresponsables, en phase avec les attentes des clients et des engagements RSE des marques et enseignes. Votre coup de cœur parmi les lauréats des Janus du Commerce 2024 ? La transformation du Hall du Livre à Nancy est l’une des réalisations les plus marquantes de l’année 2024. Elle a été menée par l’agence Desdoigts & Associés, pour le compte de la librairie Le Divan, appartenant aux éditions Gallimard. L’objectif était de donner envie aux jeunes de se cultiver dans un lieu en libre-service, esthétique et agréable. L’agence a conservé l’ADN patrimonial du Hall du Livre tout en laissant évoluer l’identité du Divan et en s’inspirant de la vie culturelle de Nancy. Le geste architectural remarquable est la création d’un escalier qui, au fil du temps, est devenu un espace de lecture, emblématique du lieu. Ici, encore plus qu’ailleurs, le travail de design est parti de l’objet et du geste vers la preuve de résultat. La librairie a accru sa fréquentation en touchant un très large public, assurant des retombées économiques bénéfiques au dynamisme de la ville. Cette transformation est l’illustration du pouvoir de la création. Elle démontre que les marques et enseignes qui ont le courage de l’audace se dotent des meilleures armes pour faire face à la crise.